Arithmétique
C'est Richard Strauss qui a composé Ainsi parlait Zarathoustra. Sa célèbre introduction (pensez 2001, l'Odyssée de l'espace de Kubrick) renvoie à l'égalité 1+2+3+4=10, clef selon Pythagore de la perfection du nombre 10.
La recherche d'un principe d'harmonie dans les nombres est aussi vieille que la pensée pythagoricienne, si ce n'est davantage. Prenez les nombres premiers, ces nombres entiers admettant exactement deux diviseurs distincts, 1 et eux-mêmes. Classés par ordre croissant, les premiers nombres premiers sont 2, 3, 5, 7, 11, 13, 17, Une multitude d'études leur sont consacrées. Mais où le hasard peut-il bien entrer dans la danse lorsqu'il est question de ces nombres immuables?
Ephémérides brouillées
(Pierre Alechinsky, 1980, Tate Galery)
Soit π(x) le nombre de nombres premiers compris entre 1 et x. Le théorème des nombres premiers garantit que lorsque x devient très grand, π(x) se comporte comme le quotient x/log(x). Par conséquent, si l'on tire au hasard uniformément un nombre entier entre 1 et x (grand), alors on a (environ) une chance 1 sur log(x) de tomber sur un nombre premier. Conjecturé par Gauss et Legendre, ce résultat fut démontré un siècle plus tard par Hadamard et de la Vallée Poussin (1896).
Puisque 3 est un nombre premier, les nombres premiers hormis 3 ne sont pas divisibles par 3. Ainsi, tout nombre premier p>3 est tel que 3 divise p-1 ou p-2.
Soit π(x; 3, 1) et π(x; 3, 2) les nombres de nombres premiers tels que 3 divise p-1 ou p-2, respectivement. En vertu de ce qui précède, π(x)=π(x; 3, 1) + π(x; 3, 2) + 1. Le théorème des nombres premiers pour les progressions arithmétiques de Dirichlet (1837) implique quant à lui que lorsque x devient très grand, π(x; 3, 1) et π(x; 3, 2) se comportent tous les deux comme le quotient x/(2log(x)). Par conséquent, si l'on tire au hasard uniformément un nombre entier entre 1 et x (grand), alors on a (environ) une chance sur 2log(x) de tomber sur un nombre premier p tel que 3 divise p-1 et une chance sur 2log(x) de tomber sur un nombre premier p tel que 3 divise p-2. Pas de favoritisme
A titre d'exemple, si x0 est le millionième nombre premier (π(x0) égale un million), alors π(x0; 3, 1)=499 829 et π(x0; 3, 1)=500 170. Il se trouve que x0 égale 15 485 863. Ainsi, π(x0; 3, 1)/x0≅3.2276% et π(x0; 3, 2)/x0≅3.2298%, alors que 1/(2log(x0))≅3.0202%!
Il est dès lors assez naturel de se demander comment se comportent les nombres π(x; 3, (a,b)) de nombres de premiers p tels que, si q est le plus petit nombre premier plus grand que p, alors 3 divise p-a et q-b (a,b=1,2). Etonnamment, on s'écarte sensiblement de l'équidistribution: loin d'être égales à 250 000 environ, on observe que π(x0; 3, (1,1)) = 215 873, π(x0; 3, (1,2)) = π(x0; 3, (1,2)) = 283 957 et π(x0; 3, (2,2)) = 216 213! Cet écart persiste pour de plus grandes valeurs de x et en remplaçant 3 par 10, par exemple (auquel cas, on s'intéresse au chiffre des unités dans l'écriture décimale des nombres premiers). Dans un article récent, deux mathématiciens proposent une heuristique pour expliquer ce surprenant phénomène. Nous ne nous aventurons pas trop avant dans leurs développements!
Quelque chose d'un monde
(Pierre Alechinsky, 1952, Tate Galery)
C'est un autre Richard qui a composé Le Hollandais volant. Wagner ne pouvait pas penser à Johann Cruyff (voir le billet du 4-4-16 — ou 4 × 4 = 16, encore une fois les nombres ont leur logique). Il pensait plutôt à sa propre errance. Il avait été enthousiasmé par la nouvelle éponyme de Heine, lue à Riga, d'où il dut fuir parce qu'il ne pouvait pas payer ses dettes. Embarqué clandestinement avec sa femme et ses enfants sur un bateau à voiles (la Thétis), il avait essuyé une tempête qui avait obligé le bateau à trouver refuge dans le port d'un fjord. Cette expérience (la fureur de la mer) et cette escale (le chant des marins) furent le double ressort de l'œuvre. Dix-huit mois plus tard, il composait les premiers thèmes de son opéra et le splendide duo d'amour.
Mais qui connaît Vagner Love?