Des fauves
Au lieu de regarder du côté du jardin et des arbres, il regarde cette fois-ci sur sa gauche. Les numéros pairs de la rue Cuvier défilent, par ordre décroissant bien sûr. Et il y a cette ligne brisée rouge sur la façade de l'institut physique du globe qui l'avait naguère intrigué.
Gaspard E, feuilleton, épisode 1.4
Il faut suivre une longue ligne droite avant de tourner à nouveau à droite, sur le quai. Gaspard n'a pas de podomètre mais il s'est renseigné. La rue Cuvier fait 531 mètres de long qui sont un peu moins longs dans ce sens là (la descente) qu'en sens inverse (donc, la montée, vous suivez aussi, c'est bien, d'ailleurs Gaspard ne pas si vite que ça). En même temps que la distance de la rue, il a appris ses noms anciens, rue Derrière-les-murs-de-Saint-Victor, il aurait à peine la place de l'écrire sur son attestation de déplacement dérogatoire, et rue Ponceau à cause d'un petit pont qui a disparu ou pourquoi pas d'un colorant rouge coquelicot.
Et en même temps qu'il pense «coquelicot» et qu'il est envahi par un sentiment champêtre, une puissante odeur lui rappelle soudain qu'il longe la ménagerie. On peut le dire, ça sent le fauve, bien qu'il n'y ait plus ni lions, ni tigres, juste des caracals, des panthères nébuleuses et même des panthères des neiges qui nous dispensent d'aller en Sibérie. Ce serait une bonne raison d'accélérer, l'odeur, pas la panthère en soi, mais Gaspard préfère retenir sa respiration quelques décamètres. Le cerveau moins oxygéné, il ne pense plus. Presque plus. Juste ceci: je respire donc je suis.
Et puis, il lui revient par une voie mystérieuse que Nerval avait jeté son chapeau de soie à l'hippopotame du Jardin des Plantes «comme on jette un bouquet à une danseuse», ça aurait plu à Degas, et qu'il distribuait des épluchures de pommes aux canards, ça aurait plu à Cézanne.