Hamothen
Ainsi Jay Mendelsohn s'en remettait-il au hasard dans ses recherches. Jay? Ce chantre de la précision et de la logique, le père de Daniel, l'helléniste, ce grand amateur et utilisateur de plans et cartes routières qui détestait «tourner en rond comme un idiot.»
Parfois en effet l'expression mathématique d'intérêt, définie implicitement comme solution d'un système d'équations, est insoluble, c'est-à-dire qu'il est impossible de l'écrire en combinant nombres, fonctions et opérations de référence. Il pourrait simplement s'agir, par exemple, de la probabilité d'obtenir un résultat satisfaisant au terme d'un enchaînement d'expériences élémentaires mais dont la combinatoire explose. L'objet d'intérêt a beau n'être qu'une proportion s'écrivant sous la forme d'une intégrale (et donc d'un volume dans un espace éventuellement compliqué), sa valeur exacte nous échappe.
Lorsqu'il était confronté à un tel écueil, Jay mettait en œuvre la méthode de Monte-Carlo. Envisagée dès le ⅩⅧe siècle par Buffon, développée au cours de la seconde guerre mondiale puis largement sophistiquée et employée depuis (jusque dans le développement du désormais célèbre joueur de Go AlphaGo), celle-ci consiste à simuler répétitivement une expérience aléatoire et à en moyenner les issues. L'expérience étant conçue spécifiquement pour que sa moyenne théorique coïncide avec l'objet d'intérêt, la moyenne empirique en est naturellement une approximation.
En vertu du théorème de la limite centrale (un billet sur le sujet s'impose), la finesse de l'approximation augmente typiquement comme la racine carrée √B du nombre B de réalisations de l'expérience. Par conséquent, si l'on multiplie par 100 ce nombre, alors on gagne un facteur 10 en précision. À l'échelle de √B, c'est un facteur de variance qui régit la finesse de l'approximation. Là, c'est la spécification des expériences qui peut permettre de gagner en précision.
Ulysse et les sirènes
(ca 480 avant J-C, British Museum, Londres)
Daniel Mendelsohn? Ce chantre de la littérature classique, le fils de Jay, ce grand écrivain qui a su évoquer les disparus. Il nous présente d'une part l'«arkhê kakôn » (άρχή κακόν), le point d'origine du désordre, là où tout commence de façon aussi certaine que possible, la relation amoureuse entre Hélène et Pâris au début de la guerre de Troie, le faux-pas de Jay dans le parking d'un supermaché californien. A moins que ce ne soit ce soir de janvier où celui-ci demande à son fils d'assister à son cours sur l'Odyssée. Il nous présente d'autre part l' «hamóthen» (ἁμόθεν), à savoir – de quelque point que ce soit, d'où que ce soit, la reprise de ce blog, le retour d'Ulysse après bien des péripéties (le mot n'est pas anodin et Homère y reviendra aux chants Ⅸ à Ⅻ). Il s'agit de mille aventures ou mille tours et la Muse est appelée à en raconter quelques uns, ceux qu'elle veut, et qu'elle commence comme elle l'entend. D'ici ou là, de ce moment-ci ou de ce moment-là. Et «hamóthen» est aussi bien ce soir de janvier où Daniel accepte la demande de son père d'assister à son cours sur l'Odyssée.
Le mot «errance» est le point commun de toutes les traductions. L'errance c'est sans doute ce qui dit au mieux le hasard dans l'action de marcher (ou de naviguer). Ce sont aussi, à tout moment, des événements qui inclinent (ou dévient) la route d'un côté ou de l'autre (comme les atomes de Lucrèce), une route jamais droite ni courbe, mais par définition brisée. La volonté a parfois son mot à dire. Cependant, s'il tourne en rond, Ulysse ne voyage pas forcément en cercles. Ou alors de nouveaux cercles qui se superposent à d'autres cercles ou les recoupent. Figures géométriques qui suggèrent un chemin aléatoire. Et quoiqu'il en soit, du temps a passé (déjà) et du temps aura passé. On a beau jeu d'y voir un va-et-vient, qui est au principe de la littérature.